Pourquoi nos enfants ne sont pas « assez » attentifs ? et pourquoi c’est normal…

Une des erreurs les plus courantes des parents ou des personnes en charge de l’éducation des enfants (y compris ceux qui rédigent les « programmes scolaires ») est à la fois de surestimer les capacités cognitives des jeunes enfants en les considérant comme des mini-adultes et de les sous-estimer en les considérant comme des êtres à « remplir » de savoir par toutes sortes de méthodes de « stimulation ».

Ces deux erreurs sont sources de beaucoup d’incompréhension et de souffrance chez les enfants et les parents. Je vous propose aujourd’hui de nous pencher sur notre propension à surestimer les capacités d’attention de nos enfants et je reviendrai prochainement sur l’importance de connaitre la capacité naturelle et phénoménale d’apprentissage des enfants, dès leurs premiers mois de vie.

Commençons donc par l’attention.

Souvent les parents ou les enseignants se plaignent d’enfants qui ne sont pas assez attentifs, qui ne voient pas toutes les informations écrites au tableau, auxquels il faut répéter une même instruction plusieurs fois avant qu’elle ne soit appliquée.

Moi-même, j’ai plusieurs fois été agacée lorsque ma fille, au lieu de faire simplement ce que je lui demande (par exemple s’habiller) prend son t-shirt, le pose sur ses genoux comme pour l’enfiler puis remarque un détail sur le vêtement et commence à en discuter ou alors s’intéresse tout à coup à un objet à proximité.

En tant qu’adulte, j’ai souvent eu du mal à comprendre pourquoi, au lieu de se concentrer 5 minutes sur une tâche aussi simple que l’habillage -pour pouvoir vite aller jouer ou explorer toutes ces autres choses qui attirent son attention- elle fait trainer les choses en s’interrompant toutes les 2 minutes. Cela semble si peu efficient ! Mais penser ainsi c’est oublier que les enfants vivent dans le moment présent et il est très difficile pour eux de concevoir la notion d’efficience ou de se projeter dans le futur. Le présent est une source immense de découvertes pour eux, et ils saisissent chaque opportunité pour remarquer ou apprendre quelque chose. Et ceci est génétiquement codé dans leur nature. Aucune remontrance de parent ne pourra aller contre cette nature car l’évolution (et il y a bien des raisons pour cela) a créé des êtres curieux et non des êtres obéissants au doigt et à l’œil.

Différentes études scientifiques m’ont bien aidée à comprendre que ma fille ne niaise pas pour me faire enrager mais qu’elle a une capacité d’attention limitée et, comme tous les enfants de 4 ans, une très grande propension à se laisser divertir.

En fait, l’attention sélective – qui permet de sélectionner une information pertinente et de se concentrer dessus en essayant d’oublier les autres – siège dans une partie du cerveau que l’on appelle le cortex préfrontal, situé, comme son nom l’indique, derrière notre front. Cette région est très importante, elle est le siège du contrôle attentionnel, de la prise de décision, de l’inhibition et de beaucoup d’autres fonctions telles que la résolution de problèmes. C’est une structure que nous, les adultes, nous utilisons énormément et qui nous permet par exemple de prendre les bonnes décisions dans beaucoup de situations du quotidien.

Malheureusement pour nous parents et éducateurs impatients, cette structure est la dernière à être totalement fonctionnelle et mature chez l’enfant. La maturation de cette région, n’est pleinement atteinte que vers 20 ans. Cela explique de nombreux comportements que l’on observe chez l’enfant et l’adolescent : la prise de risques, la difficulté à gérer ses émotions, à inhiber les comportements non pertinents ou non appréciables ou tout simplement à être « raisonnable ».

 

Alors la prochaine fois que vous demanderez à votre enfant d’être « raisonnable », rappelez vous qu’il en est physiquement incapable ou en tout cas que ses capacités sont très loin des vôtres. Il vaut mieux avoir des attentes plus réalistes et surtout lui apporter un environnement qui va lui permettre de mieux faire murir son cortex préfrontal et affiner ses capacités d’attention et de raisonnement.

L’une d’elle a été citée de manière très clairvoyante par Maria Montessori. Si vous avez l’occasion de lire l’un de ses ouvrages, vous verrez qu’elle insiste sur la nécessité de ne pas surcharger les murs des chambres ou des classes des enfants et conseille de garder au minimum les dessins, posters, photos. Ceci vise à limiter les sources de distraction et à favoriser la concentration des enfants.

Il a été montré que le cerveau humain, et celui des enfants encore plus, n’est pas capable de traiter de manière parfaitement simultanée deux informations. Ainsi si deux informations arrivent en même temps, il est probable que l’une d’elles soit tout simplement ignorée.

Pour vous monter à quel point il est facile de surestimer l’attention, je vous propose de regarder cette vidéo :

Vous verrez que même si l’on croit être attentif, il est extrêmement difficile de noter tout ce qui se passe dans notre environnement. Notre cerveau va sélectionner les informations qui lui paraissent les plus pertinentes et ignorer les autres.

Alors pensez à vos enfants comme à vous après avoir vu cette vidéo, il ne s’agit pas d’une question de volonté ou d’intelligence mais tout simplement des limites inhérentes à nos capacités attentionnelles.

Alors comment rendre pertinentes les informations que l’on veut que nos enfants retiennent ou, du moins, remarquent?

Des études ont montré que ce qui est très important pour qu’un enfant prête attention à une information ou à un apprentissage que l’on veut transmettre, c’est l’établissement d’une relation un à un avec lui via notamment le contact visuel (également appelé « indice ostensible de communication »).

Regarder un enfant dans les yeux au moment où on lui parle va incidemment lui faire comprendre que ce qu’on dit ou fait est important pour lui et son développement. Cela paraît si évident, mais si facile à oublier au quotidien !

La science a permis de prouver avec de très jolies expériences que cette intuition que tout parent pourrait avoir « je te regarde dans les yeux pour que tu m’écoutes » est fondamentalement ancrée dans le processus de développement de l’enfant.

 

Je vous en montre une ici (Egyed et al., 2013) qui consiste à placer un enfant de 18 mois face à 2 objets distincts.

 

Tiré de Egyed K. et al., Communicating Shared Knowledge in Infancy, (2013). Psychological Science, 24(7) 1348–1353

Une personne (appelons la Marie) prend place en face de lui, sans rien dire. Marie va regarder avec envie un des 2 objets et avec dégout l’autre objet. Puis une autre personne (appelons la Anne) va remplacer Marie et tendre la main. L’enfant comprend qu’il doit lui montrer un des 2 objets.

On remarque que si juste avant de regarder les objets, Marie a regardé l’enfant dans les yeux, dans la plupart des cas, l’enfant va montrer à Anne l’objet qui faisait envie à Marie (première ligne de la photo).

Cependant si au début de l’expérience, Marie n’a pas établi de contact visuel avec l’enfant, lorsqu’Anne arrive, l’enfant va la plupart du temps lui montrer l’objet qui n’intéressait pas Marie (deuxième ligne de la photo). Mais si c’est Marie qui vient se mettre face à lui, alors il va lui montrer l’objet qui lui faisait envie (troisième ligne de la photo).

Que se passe-t-il dans la tête de cet enfant de 18 mois ?

En fait, l’enfant utilise le contact visuel comme un indice pour déterminer ce qui est généralisable ou pas. Quand Marie le regarde, l’enfant comprend qu’on lui montre une règle « universelle », un objet qui est « bon », « désirable ». Il va donc le considérer « bon » quelles que soient les circonstances et peu importe qui le lui demande. Cependant en l’absence de contact visuel initial, l’enfant observe juste la préférence de Marie. Ainsi il comprend ce qu’elle veut mais ne le généralise pas aux autres personnes.

Cet « indice ostensible de communication » l’aide à comprendre ce qui est important et qui doit être retenu et généralisé.

Quel mécanisme astucieux !

Il existe de nombreux autres études fascinantes portant sur l’attention de l’enfant mais l’essentiel est de se souvenir que sa capacité d’attention est bien inférieure à la nôtre et que l’on doit absolument éviter de divertir son attention en lui demandant de faire ou d’écouter deux choses à la fois ou en laissant trainer trop de stimuli visuels ou auditifs. Il faut aussi se souvenir de l’importance du contact un à un et de le regarder dans les yeux quand on lui parle car cela l’aide à mieux assimiler ce que l’on veut lui transmettre.

Si vous voulez allez plus loin, je vous conseille le cours en ligne de Stanilas Dehaene : Cours numéro 2, « L’attention et le contrôle exécutif »

Si vous voulez à nouveau « tester » votre attention, vous pouvez aller voir la vidéo suivante  :

https://www.youtube.com/watch?v=vJG698U2Mvo

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *