Un cerveau qui apprend est un cerveau qui se trompe

Je pense qu’une des raisons pour lesquelles l’école est aujourd’hui si peu adaptée à nos réalités vient d’une méconnaissance des bases neurobiologiques de l’apprentissage. Il n’y a rien d’étonnant à cela car peu de chercheurs se sentent légitimes pour dialoguer avec les pédagogues et il n’est pas toujours évident de bien vulgariser les dernières découvertes. La situation semble heureusement s’améliorer et la science se met de plus en plus au service des parents et des éducateurs.

Alors que faut-il savoir sur l’apprentissage ? Dans les 15 dernières années, de grandes avancées ont été réalisées notamment grâce aux découvertes sur l’intelligence artificielle qui nous ont permis de comprendre comment fonctionne notre cerveau. Une des théories les plus convaincantes et des plus acceptées est celle du cerveau Bayésien. Selon cette théorie,  en tout temps, notre cerveau (ou système interne) fait une série de calculs de probabilité pour prédire ce qui a le plus de chances de se passer. Il peut ainsi « apprendre » comment fonctionne notre environnement et quelles sont les règles qui le régissent. De nombreuses expériences ont confirmé cette hypothèse, et ont permis de décrire un processus d’apprentissage en 3 étapes :

  1. Pour apprendre, face à une situation particulière, le cerveau va d’abord faire une prédiction.
  2. Il compare ensuite ses prédictions à la réalité. Cette comparaison génère un signal d’erreur ou de surprise.
  3. Le signal d’erreur est intégré. Il va modifier le cerveau en lui permettant de s’ajuster, en d’autres termes de « retenir » la leçon.

Le but ultime du cerveau-système est de réduire cette erreur afin de se rapprocher davantage de la réalité lors de la prédiction suivante. Ceci se fait par une série de répétitions de type essai-erreur. Chaque erreur permet au cerveau d’affiner sa prochaine prédiction et donc d’apprendre.

Quand le cerveau arrive à prédire parfaitement une situation, (l’erreur est nulle), il n’y a plus rien à apprendre, il va s’intéresser à une autre situation.

Des expériences ont montré que ce processus existe même chez les très jeunes enfants. Ils font en permanence des prédictions et des essais-erreurs afin de comprendre leur environnement.

J’ai déjà observé ce type de processus chez ma fille, notamment dans le bain lorsqu’elle essayait de comprendre pourquoi certains objets flottent alors que d’autres coulent (aka la poussée d’Archimède). Elle fait ici une série d’essais avec une grosse balle légère et une petite balle lourde. Comme il n’y a rien de mieux qu’une image pour bien comprendre une idée, j’ai demandé à Mia, graphiste et illustratrice de talent (dont je vous conseille  le site) de bien vouloir mettre en images cette petite expérience :

  • Étape 1 : La prédiction

 

 

 

La voici qui fait la prédiction que cette balle rouge va couler.

 

  • Étape 2 : La comparaison

 

Elle lâche la balle, qui flotte. Son cerveau compare le résultat « la balle flotte » à sa prédiction « la balle devait couler » et émet un signal d’erreur.

 

  • Étape 3 : intégration du signal d’erreur

    Le signal d’erreur est interprété par le cerveau en terme d’apprentissage, de règle à généraliser et ceci de manière implicite.

    « Je me suis trompée, une balle en plastique de ce type ne coule pas, je vais essayer d’améliorer ma prédiction la prochaine fois. »

Les 3 mêmes étapes peuvent donc être répétées avec une autre balle.

 

  • Étape 1 (à nouveau) : Nouvelle prédiction

Elle fait donc une nouvelle prédiction.

 

  • Étapes 2 et 3 (à nouveau) : Comparaison et intégration du nouveau signal d’erreur

Puis la prédiction est confrontée à la réalité et le signal d’erreur est intégré pour tirer une règle généralisable, un apprentissage.

 

Grâce à ce modèle, les neurosciences ont montré deux points importants qui pourraient particulièrement intéresser les pédagogues:

  • S’il n’y a pas d’erreurs, il n’y a rien à réduire, IL N’Y A PAS D’APPRENTISSAGE (zone bleue du graphique ci-dessous).

Ainsi quand vous récitez l’alphabet à votre enfant, vous ne faites aucune erreur, votre prédiction (ce que vous récitez) correspond parfaitement à la réalité (l’alphabet), vous n’apprenez rien car vous le connaissez déjà.

  • Si l’erreur de prédiction commise est trop grande et trop difficile à corriger car on essaie d’apprendre quelque chose qui est bien au-delà de nos capacités, il sera très difficile de réduire cette erreur, il y aura donc un apprentissage minimal ou pas d’apprentissage du tout (zone rouge du graphique ci-dessous).

Donc essayer d’enseigner les équations du second degré à un enfant qui ne sait pas compter se soldera par un échec.

Pour apprendre, il faut donc relever des défis tout juste au-dessus de ce que l’on sait faire (zone verte du graphique ci-dessous).

 

 

 

 

 

 

D’après ce modèle, on voit se dessiner les conditions idéales pour un apprentissage optimal :

  1. Il est essentiel d’adapter et de personnaliser les apprentissages au niveau de chaque enfant. Demander à tous les enfants de suivre un même programme, à la même vitesse est tout simplement CONTRE NATURE.
  2. L’individu doit être capable de détecter son erreur pour ajuster son modèle interne (ses connaissances). Il faut donc se placer dans des situations où les erreurs sont autorisées (idéalement sans se sentir jugé) et où on est capable de les identifier facilement, de manière autonome et immédiate.

Hors comment évalue-t-on l’apprentissage à l’école ? Les enfants répondent à des questions et reçoivent une note globale pour l’ensemble du devoir quelques jours plus tard.

Il parait évident que ce système de notation globale et différé n’est pas adapté au système d’apprentissage Bayésien de notre cerveau.

Non seulement on n’est pas encouragé à identifier de manière autonome et immédiate nos erreurs mais en plus on reçoit une note globale ultérieurement. Recevoir cette note ne peut en aucun cas permettre à l’apprentissage de se faire. Notre système interne n’en retira rien si ce n’est un sentiment d’incompétence, d’échec et d’injustice. Là encore, cette façon de mettre un délai entre la prédiction et la comparaison avec la réalité (=bonne réponse) est CONTRE NATURE. Il est aussi contre-productif car le niveau de difficulté des interrogations augmente de semaines en semaines. Ainsi un élève qui fait des efforts et réduit ses erreurs sur un même exercice ne verra pas forcément ses notes augmenter car le niveau de difficulté des contrôles croit trop rapidement. Comme il n’a pas la possibilité de refaire son contrôle, il se sentira toujours en situation d’échec et son apprentissage sera entravé.

Pour favoriser l’apprentissage, il faut impérativement que l’enfant soit capable de s’auto-corriger de manière précise, immédiatement, et sans jugement. Il doit être capable de suivre ses progrès en répétant autant que nécessaire une même évaluation, sans que le niveau de difficulté n’augmente.

Maria Montessori l’a très bien compris (des décennies avant ces découvertes) en concevant un matériel qui permet à l’enfant de voir immédiatement son erreur et de se corriger. Les enfants sont encouragés à reproduire plusieurs fois les mêmes actions afin de voir leurs progrès.

Je finirai en disant un mot sur les effets néfastes du « jugement » et de la punition. Si on blâme un enfant dès qu’il commet la moindre erreur et que l’on valorise le résultat final sans faute plutôt que l’effort réalisé, sa motivation à apprendre sera inhibée. Son système interne va tout simplement privilégier les situations où le risque d’erreur est nul. Il n’y aura plus de challenge, plus de prédiction, plus d’apprentissage. Hors le cerveau est naturellement doté d’un système de récompense interne. À chaque fois que l’erreur diminue, le système dopaminergique (des récompenses) est activé. Il s’agit du système activé lorsque l’on prend du plaisir et que l’on vit une expérience positive. Il permet ainsi au cerveau de renforcer l’apprentissage qui a abouti à cette récompense. La motivation à diminuer l’erreur est donc déjà codée intrinsèquement dans notre cerveau. Il n’est pas nécessaire de venir modifier de fragiles équilibres, en ajoutant des conditionnements négatifs (punitions, remontrances) qui, en augmentant le stress, vont au contraire nuire aux apprentissages.

Alors n’oublions pas de laisser à nos enfants (et à nous même) le droit à l’erreur. Il est important de leur faire confiance, de les laisser répéter leurs expériences autant de fois qu’ils le veulent. Ainsi, la célèbre citation de Socrate «  La chute n’est pas un échec. L’échec c’est de rester là où on est tombé » s’avère confirmée par les neurosciences. 

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